حوار

Entretien avec Catherine Lafforgue représentante de ACFOI à La Haye.

«  IL FAUT RENDRE AUX CITOYENS LA GESTION DE LEUR AVENIR ! Et pour cela, il faut les faire devenir acteurs du fonctionnement supranational et donc du fonctionnement des organisations internationales. »

 SAID  FRIX : Vous représentez l’ACFOI à la Haye. Comment envisagez-vous de réaliser les objectifs de l’ACFOI, Avez-vous élaboré un plan? Une stratégie?

Catherine Lafforgue : Les grands objectifs de l’Assemblée des Citoyens Francophones pour les Organisations Internationales (ACFOI) sont clairs ; familiariser la société civile francophone avec les Organisations internationales (OI), rester vigilant quant à la diversité linguistique culturelle et conceptuelle dans le fonctionnement de ces OI et agir en faveur du respect de la représentativité des peuples et des cultures dans leur gouvernance, tout cela bien entendu par le biais de la langue française. Ces objectifs rejoignent et complètent ceux de l’Assemblée des fonctionnaires francophones  des Organisations Internationales (AFFOI) dont l’ACFOI est un opérateur. Cependant, contrairement aux fonctionnaires membres de l’AFFOI, nous ne sommes pas soumis au devoir de réserve et cela fait toute la différence. Il me semble que c’est surtout à partir de cette caractéristique qu’il faut définir le fonctionnement de l’ACFOI et ainsi apporter les capacités d’expression et d’action qui manquaient tant à l’AFFOI.

Ce constat étant établi la question est alors de savoir comment développer les choses localement. Plusieurs antennes ACFOI existent déjà dans le monde (Bénin, Bruxelles, Bulgarie, Egypte, Genève, La Haye, Maroc, New York, Togo, Tunisie) et d’autres sont à venir. Chacune de ces antennes est confrontée à une réalité propre qui aura une importance considérable sur le choix stratégique du responsable local.

La Haye accueille La Cour internationale de justice (CIJ), la cour pénale internationale (CPI), la Cour Permanente d’Arbitrage (CPA), les différents tribunaux AD HOC (TSL, TPIY, TPIR), l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), L’Office européen des brevets (OEB) et  Europol. D’autres OI, comme l’ESTEC et certaines agences de l’OTAN sont également localisées en périphérie. La ville est donc un centre administratif multilatéral de premier plan.  Mais les Pays-Bas ne sont pas une nation francophone et la population locale néerlandophone n’est donc pas majoritairement susceptible de rejoindre l’ACFOI. Notre stratégie doit impérativement s’adapter à ces caractéristiques. Contact avec la Presse, contact avec le public, nombre de membres, relations avec les OI, toutes ces dimensions seront influencées. Par exemple si nous ne pouvons pas compter sur de nombreux membres physiquement présents aux Pays-Bas nous pouvons par contre établir des liens de proximité et une communication assidue avec les fonctionnaires et les organisations. Dès lors la stratégie s’impose d’elle-même.  L’ACFOI à La Haye sera plutôt concentrée sur la communication électronique qui permet de toucher un public francophone au-delà des limitations linguistiques du pays où nous nous trouvons. Ses activités seront surtout concentrées autour d’un travail de fond visant à rendre plus accessibles les OI qui se trouvent ici. Notre plan d’action repose la mise en place d’une cellule de veille et d’une cellule de suivi.  La cellule de veille aura  pour mission d’identifier les éventuels disfonctionnements linguistiques au niveau de la communication externe des OI et la cellule de suivi aura quant à elle pour objectif de les corriger. Les activités de ces deux entités ont d’ailleurs déjà commencé.  Certains textes exclusivement rédigés en anglais ont été identifiés  et traduits en français puis publiés sur le site ACFOImonde et diffusés sur nos réseaux sociaux. Début 2014, nous prendrons contact avec toutes les OI concernées pour aborder le sujet et voir ce qu’il est possible de faire pour pérenniser l’information en français

Il me semble que ce modèle pourrait d’ailleurs très facilement être adapté et appliqué à toutes les OI du monde. Nul n’est besoin d’être sur place pour analyser un site internet ou traduire une page électronique.

Ces premiers pas sont encourageants mais nous savons qu’il faudra beaucoup de temps avant de véritablement intéresser l’opinion publique. Pour cela il faudrait que la Presse s’empare de ces dossiers. Or, les habitudes et tendances médiatiques sont encore trop portées sur les logiques nationales. Et l’actuelle « culture journalistique » ne joue pas en notre faveur. Le public, peu ou mal informé par la Presse, familiarisé avec une information aux standards très arrêtés ne s’intéresse que de très loin aux activités des OI. Dès lors les journalistes, visant une large audience, font passer ces sujets au second plan, empêchant ainsi une prise de conscience de l’importance croissante des activités des OI sur la vie des citoyens du monde. Et cette absence d’information renforce le système. Rompre ce cercle vicieux est nécessaire. Mais ce sera long et difficile. Pour le faire il faudra en tous cas une puissante interaction et des échanges constructifs entre les différentes antennes de l’ACFOI. Comme je l’ai dit, chaque antenne doit avoir sa propre stratégie relative à son propre environnement à sa situation géographique,  son environnement,  sa population, sa culture, la langue localement utilisée, etc.. Il n’en est pas moins vrai que, sur les grandes lignes prioritaires, nous avons tout à gagner à travailler ensemble, les unes à l’écoute des autres, car seule une communauté francophone forte et soudée sera à même de faire bouger les lignes. Nous devons « crier haut et fort » l’importance de notre cause. Et le crier ensemble pour que le monde commence à nous entendre.

2-Quel est le rôle que pourra jouer la société civile dans la réussite du projet de grande envergure d’ACFOI ? Avez-vous quelques propositions qui nous permettront  d’élargir la communauté francophone?

L’ACFOI est par définition le représentant de la société civile. Pour que le projet ACFOI soit une réussite il faut que les citoyens francophones, rendus conscients de l’importance des Organisations Internationales nous rejoignent massivement pour agir sur leur fonctionnement. Il faut qu’ils se réapproprient le multilatéralisme et lui portent le même intérêt qu’ils portent au fonctionnement de leurs institutions nationales, ce qui à ce jour est loin d’être le cas. Je vous donne un exemple. Je suis Française. Il est établi qu’entre 60 et 80% des lois votées en France sont d’origine communautaire (Union Européenne). Pourtant les français ne s’intéressent que très peu à ce qui se passe à Bruxelles. En France les débats ne portent que sur des projets de loi exclusivement initiés dans l’hexagone et bien souvent proposés en réponse à l’hypermédiatisation de sujets dont l’importance intrinsèque est parfois très relative. La mondialisation impose de plus en plus des prises de décisions collectives qui dépassent le prisme national. Si l’attention du citoyen ne se porte que sur les sujets nationaux, elle s’éloigne de l’essentiel et dès lors c’est l’idée même de démocratie (participation du citoyen dans les décisions) qui est mise en danger. Je sais que ces propos peuvent sembler alarmistes mais les faits sont là. Malheureusement cette évidence se confronte au pouvoir considérable d’habitudes culturelles difficiles à contourner. Et les actuelles rétractations nationalistes liées à la crise n’améliorent pas les choses ! Tout le monde reconnait qu’il faut apporter des solutions globales aux grands problèmes sociétaux de surpopulation, d’accès à l’eau, d’accès à la nourriture, d’environnement, de gestion des crises sanitaires ou épidémiques, …. Tout le monde constate  que les Etats sont dépassés et que les logiques nationales ne sont pas adaptées à la résolution de problèmes supranationaux. Mais en même temps les peuples inquiets sont tentés par le retour aux vieux modèles nationaux rassurants. Déni et retour à ce que l’on connait le mieux sont des réflexes naturels en temps de crise mais des réflexes dangereux.  Alors oui, le projet de l’ACFOI est important, crucial même pour l’avenir du monde. Et je pèse mes mots. IL FAUT RENDRE AUX CITOYENS LA GESTION DE LEUR AVENIR ! Et pour cela il faut les faire devenir acteurs du fonctionnement supranational et donc du fonctionnement des organisations internationales. Nous sommes à une croisée des chemins où tout doit être reconsidéré en fonctions des nouvelles réalités. On ne fera pas le monde de demain avec les réalités d’hier. Il faut répéter, répéter et répéter encore cette évidence pour que tous la comprennent. Il s’agit là probablement de l’une des principales missions de l’ACFOI. Et pour en définir la forme, il me semble important d’inverser votre question. Quel rôle pourrait jouer l’ACFOI  auprès de la société civile ?

L’ACFOI est non seulement un outil intermédiaire entre la société civile et l’Assemblée des fonctionnaires francophones des Organisations Internationales (l’AFFOI), mais aussi un lien entre les peuples francophones et les Organisations Internationales. A ce titre, l’ACFOI est en effet  un projet de grande envergure. La réussite de ce projet dépend d’une puissante communication. J’en reviens donc aux médias. Comme je l’ai déjà dit les médias ne s’intéressent pas ou peu aux sujets multilatéraux. Ceux-ci sont surtout traités par une presse très technique, diffusée en milieux spécialisés et peu accessible car trop académique et institutionnelle. Si l’opinion publique doit faire entendre sa voix jusque dans les plus hautes sphères des Organisations Internationales, il est donc fondamental qu’elle prenne conscience de leur existence, de ce qui s’y passe, de ce qu’on y traite, de qui les dirige, de qui y travaillent. Comment se compose le personnel des OI ? Comment communiquent-ils entre eux ? Quelles sont leurs missions ? Dans quelles langues travaillent-ils ? Pourquoi la diversité est-elle de la plus grande importance dans ces institutions ? C’est, entre autre, en répondant à ces questions que l’ACFOI peut apporter une contribution.

Nous ne sommes qu’au début du chemin. Je suis sûre que les différentes antennes de l’ACFOI seront une source inépuisable de propositions. Tout est à construire. Il faut faite confiance à l’imagination et à l’engagement. De toute façon il n’y a guère d’alternative. Le monde se doit d’évoluer dans ce sens. Les seules véritables questions sont « quand ? » et  « comment ? » ; rapidement et de façon contrôlée ! Ou anarchiquement et dans la douleur !

Alors pour traduire cette vision globale en termes opérationnels je dirais qu’il sera important de mettre en place plusieurs stratégies parallèles.

– Une stratégie de communication médiatique ; publier autant que possible des informations relatives aux OI dans un nombre aussi large que possible de médias francophones. Donner forme au multilatéral est important pour que les citoyens finissent par s’y intéresser vraiment. Pour cela il faudra donc solliciter l’aide des journalistes francophones et notamment l’aide de l’Union de la Presse Francophone (UPF) qui est actuellement en cours de restructuration.

– Une stratégie de communication politique : Solliciter les parlementaires francophones, les représentants des Etats francophones au sein de la Francophonie, les Chefs d’Etat et Chefs de gouvernements francophones pour obtenir un véritable soutien institutionnel. De même solliciter les Hauts fonctionnaires en charge des OI. Leur rappeler leurs responsabilités ; leur rappeler qu’ils travaillent au service des peuples, pas seulement au service de l’administration qui les emploie et qu’ils dirigent.

– Une stratégie de traduction de nos dossiers en valeur ajoutée potentielle pour les acteurs de la société civile ; en particulier les jeunes. Si les jeunes francophones prennent conscience qu’en nous aidant ils s’aident eux-mêmes (par exemple en renforçant leur profil ce qui leur permettra de se donner plus de chance pour éventuellement intégrer une OI) alors il sera possible de créer un mouvement vertueux progressivement plus puissant. Il me semble que dans ce domaine, une communication très axée sur l’apprentissage par contact direct avec la réalité devrait être engagée avec les écoles et universités francophones (traductions, dossiers juridiques, …)

Les possibles sont nombreux et les définir plus précisément sera certainement un des principaux objectifs de l’ACFOI en 2014.

3-Pourquoi avez-vous accepté de devenir représentante d’ACFOI à la Haye?

Je ne suis pas fonctionnaire internationale mais mon époux l’est depuis plusieurs décennies. J’ai donc vécu suffisamment prêt des institutions multilatérales pour mesurer l’importance de leurs activités et le peu d’intérêt public qu’elles éveillent. Depuis 2010 j’ai eu le plaisir de m’investir pour l’AFFOI en particulier dans le domaine de la Communication. Cela m’a permis d’accompagner Dominique Hoppe, Président de l’AFFOImonde,  dans plusieurs missions et donc d’affiner mes compétences. Aussi, lorsque la décision de créer l’ACFOI a été prise, en devenir la représentante à La Haye s’est imposée comme une évidence. J’avais une petite expérience, beaucoup de contacts et une forte envie de m’investir pour la cause. Les conditions étaient donc réunies.

Je crois sincèrement que ce que veut réaliser l’AFFOImonde (AFFOI, ACFOI, AJFOI) est extrêmement important. Lorsqu’une cause est juste, il ne faut pas se laisser arrêter par la raison, ni freiner ses propres ambitions sous prétexte qu’elles peuvent sembler disproportionnées avec les moyens disponibles pour les atteindre. Pour beaucoup tout cela n’a que peu de sens. Mais aux remarques défaitistes je n’ai qu’une seule réponse. Une cause n’est réellement perdue que lorsque ceux qui devraient naturellement la défendre cessent d’y croire. Pour ma part, face au pire je préfère être un acteur à la chance infime de réussite  plutôt qu’une victime inerte. Il me semble que l’histoire fut souvent influencée par de tels choix.

Propos recueillis par SAID FRIX Représentant de ACFOI au Maroc.

 

 

اظهر المزيد

مقالات ذات صلة

اترك تعليقاً

لن يتم نشر عنوان بريدك الإلكتروني. الحقول الإلزامية مشار إليها بـ *

زر الذهاب إلى الأعلى